Le beau, la mer et la douleur

24/07/2023

Fragment inspiré du Réel 

Je te conseille d'aller jusque'à la plage de "Port Beach". Tu partiras sur ta droite en sortant de l'appartement, c'est le chemin le plus court. Tu marcheras deux kilomètres environ sur cette artère sans charme et bruyante avant de rejoindre le vieux pont qui surplombe la rivière. Il y aura des pélicans. Et peut être même un héron cendré. Il te faudra jouer des coudes avec les cyclistes fous car le pont n'est pas bien large mais ensuite tu auras un peu de répit quand tu emprunteras, à la souche d'un arbre mort, le discret passage entre le pub et le parking désert.

Le dernier couloir avant l'océan t'apparaitra comme une large avenue sale. Ne sois pas impressionné par l'imposante rudesse des camions qui transportent les containers jusqu'au port, ni par l'odeur d'urine des moutons entassés à bord des bétaillères. Tu ne peux pas y échapper. On s'y habitue tu sais. Le carrefour, au bout, sera comme l'ultime disgrâce avant le bonheur. N'oublie pas quand tu traverses, on roule à gauche ici.

Et puis enfin, de l'autre côté du bâtiment de briques décrépi, il y aura le bleu à l'infini et le bruit s'arrêtera parce que la beauté efface tout. Tu verras au delà des reflets argentés, une ligne à l'horizon où sommeillent quelques bateaux au mouillage, et une île au loin, souvent perdue dans la brume. Face à la mer, un banc en bois, peint aux couleurs de l'océan l'été. Tu devrais t'y assoir et tu te perdras sans doute, comme moi, dans la majesté de l'endroit. Et quand tu penseras que tout est dit, tu découvriras cette unique fleur qui pousse près de la gouttière, adossée au mur derrière toi. Tu la reconnaitras, c'est un pissenlit jaune comme la couleur de tes boucles étant enfant. C'est elle qui me fait penser à toi depuis que tu es loin de moi.

Fragment inspiré du passé

La Citroën est remplie à craquer, il faut y caser les valises et 3 chats mais surtout mon vélo, un Grifter gris argenté qu'on me jalouse chaque été. C'est un voyage interminable, embrumé par la fumée des Peter Stuyvesant que ma mère dégaine l'une après l'autre. J'espère ne pas être malade, ça bouge comme sur un bateau sur cette banquette à l'arrière. J'ai pris mon oreiller pour la sieste, des chips et du coca comme déjeuner, je suis parée pour l'heure et demie de trajet depuis Bruxelles jusqu'à la ville côtière de Saint-Idesbald. On y va chaque année, du 15 juillet au 15 août. Résidence Zumaya, appartement 1A. Face à la mer.

On accède aux garages en sous-sol par une petite rue tranquille à l'arrière. Abritée du vent du large, on longe les dunes et les maisons aux toits de chaume vert un peu gris. Par la fenêtre ouverte, le parfum des algues et des coquillages échoués chatouillent mes narines. Une fois la voiture garée, il nous faut grimper les quelques marches d'un étroit escalier intérieur qui mènent au rez-de-chaussée. Le minuteur laisse à peine 20 secondes de lumière, c'est mal foutu dit toujours mon père. Pendant qu'il souffle en montant les affaires et que ma mère fume à l'air pur, j'enfourche mon bi-cross et j'ai le droit de faire le tour du pâté de maisons pour rejoindre l'entrée principale de l'immeuble, côté digue, côté plaisirs et liberté.

Nos bouchent se frôlent, nos langues se rencontrent à peine. Mélange d'odeurs de tabac et goût sucré de crème glacée. Coincée entre l'ascenseur et le mur froid des boites aux lettres, je ferme les yeux. Ça n'a duré qu'un instant, quelques secondes seulement. Il est déjà reparti. Marc ou Xavier, je ne me souviens plus trop bien. Dans un coup de vent, la lourde porte d'entrée s'est refermée brutalement. J'entends à présent les battements de mon coeur qui s'apaisent, dehors, le martèlement sec des maillets sur les piquets de tente. C'est donc si simple le bonheur quand on a 14 ans.

Fragment inspiré de l'imaginaire

Elle avait choisi mon corps sans mon consentement. Elle s'était installée malgré mes pleurs et mes batailles, décidée à y rester jusqu'à mon dernier souffle. La douleur, mon épuisante ennemie, nous sommes aujourd'hui à l'aube de notre ultime combat. Prends garde à toi, tu va périr comme un feu privé d'air, qui s'éteint sans bruit ni chance de lendemain.

Je m'introduis d'une main agile entre les lèvres et remonte le long d'une langue rose et charnue. J'éclaire la voute palatine, un trou béant, il manque deux dents. Où es-tu donc cachée ? Je me hisse à coups de crampons sur la dent de sagesse et tapote l'intérieur de la joue. Rien ne crie. Je débute alors l'incision de la gencive supérieure, ça pisse le sang, quelques globules paniqués mais aucune trace de toi. Je remonte ensuite par le canal de la racine et perce un mince tunnel pour rejoindre le sinus. J'ai des muqueuses plein les yeux, je n'y vois plus rien. Ça y est, j'entends ton rire, tu crois pouvoir t'échapper par l'oreille mais tu te fourvoies, le conduit d'aération de la trompe d'Eustache est bouché, c'est une voie sans issue !

Tu es coincée entre l'enclume et le marteau, tu trembles, tu gémis. Je largue mon lasso de fil dentaire et tire rapidement sur la corde pour resserrer le noeud. Tu es finie. Ficelée, étourdie déjà par le manque d'oxygène, tu agonises. Je ressers une dernière fois mon étreinte sur ton cou, ton regard plonge dans le mien, il me supplie de te laisser juste un petit nerf, un os à ronger, de quoi faire encore un peu mal.

Fragment inspiré de mots immédiats

Il y a des routes et l'océan au bout. Il y a des routes et le bonheur tout proche. Il s'agit toujours d'un voyage qui tend vers l'émerveillement, une liberté retrouvée, un apaisement. Sur le chemin de la félicité, il faut être patient, se faire confiance. Enfin, il ne faut pas céder. Malgré le bruit, malgré le temps qui s'étire, malgré la douleur, une lumière brille. Il y a des couleurs aussi et la beauté essentielle des choses.

-Continue droit devant, ça ne devrait plus être loin.

Fragment inspiré de l'écriture elle-même

Donne moi une route
Droite et solitaire
Avec des lignes pour ne pas tomber

Donne moi un soleil
Pour éclairer le chemin
Ni trop brillant ni trop criant
Pour ne pas me brûler

Donne moi le bruit des vagues au loin
Un son discret
Qui me permet de croire
Que quelque part

Le bonheur m'attend

© 2023 Antoine Hareng. Tous droits réservés.
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